La pratique du bureau de liaison ou de représentation en droit congolais

Me Elvis Mayo Bieme Ngalisame

Me Elvis Mayo Bieme Ngalisame

Introduction

La mondialisation et l’ouverture du commerce international conduisent de très nombreuses entreprises à considérer de près le potentiel de croissance offert par une extension à l’international. L’implantation dans un pays lointain n’est pas toujours simple, et les chefs d’entreprise doivent arbitrer entre plusieurs solutions pour y développer leurs activités commerciales. Parmi ces solutions, il y a le bureau de liaison ou de représentation.

Le bureau de liaison est une notion nouvelle en droit OHADA. Son introduction, à l’article 120-1 résulte de la réforme du 30 janvier 2014 de l’Acte Uniforme sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt économique.

En effet, aux termes de l’article 102-1 de l’AUSCGIE, le bureau de représentation ou de liaison est un établissement appartenant à une société et chargé de faire le lien entre cette dernière et le marché de l’Etat partie dans lequel il se situe. Il n’est pas doté d’une autonomie de gestion et n’exerce qu’une activité préparatoire ou auxiliaire par rapport à celle de la société qui l’a créé.

Prenant en considération l’intérêt majeur de la connaissance pratique de ce nouveau concept, nous avons trouvé judicieux d’aborder ce sujet de son aspect juridique (I) à ses contours comptable et fiscal (III) en passant par l’axe social (II).

  1. Régime juridique

Le bureau de liaison n’a pas de personnalité morale ni une autonomie de gestion. Il ne dispose ni de dénomination sociale ou commerciale distincte, ni de capital ou biens propres. Il ne peut entreprendre des activités économiques en son nom propre. Sa constitution n’exige aucun type d’apport ni le choix d’aucune forme sociale.

Les droits et obligations, qui naissent à la suite de son activité ou qui résultent de son existence, sont compris dans le patrimoine de la société qui l’a créé. Il doit être immatriculé au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier au même titre qu’une succursale ; mais à la différence de la succursale, il n’est pas soumis à terme, à l’obligation de filialisation édictée par l’Acte Uniforme, au terme du délai d’existence de deux (2) ans.

Le bureau de représentation ou de liaison exerce exclusivement une activité préparatoire ou auxiliaire à celle exercée par son siège. Dès lors que les activités du bureau de représentation excèdent ces limites, il doit être transformé en succursale ou en filiale de droit local.

Il a ainsi un rôle de relais, préparant à la conclusion des contrats commerciaux entre des clients, fournisseurs et la société mère. L’ensemble des documents administratifs et factures sont édités et signés par la société mère.

Du point de vue technique, le bureau de liaison permet aux sociétés qui ne constituent pas fiscalement des établissements stables d’accomplir des activités régulières et avoir un ou plusieurs salariés appointés à cet effet.

Toutefois, en l’absence de définition légale et jurisprudentielle des activités préparatoires et auxiliaires, le recours aux critères fiscaux établis par le droit fiscal congolais pourraient servir à clarifier la notion d’activité préparatoire ou auxiliaire.

  • Des formalités de constitution

Les démarches liées à sa création sont simplifiées. La société n’est tenue qu’à un enregistrement simple au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier qui va permettre l’obtention d’un Numéro, document très souvent exigé dans les relations du bureau de liaison avec les tiers (banque, fournisseurs, …).

La société mère sera tenue de produire les éléments ci-après :

  • Statuts sociaux de la société mère tels que notariés (traduction en français éventuelle)
  • Acte portant son inscription au registre du commerce
  • Acte portant décision de créer le bureau de liaison (Procès-verbal de l’assemblée générale ou décision de la gérance selon le cas) contenant notamment le nom du représentant et l’adresse du bureau en RD Congo
  • Pièce d’identité, spécimen de signature, extrait du casier judiciaire ou déclaration sur honneur du représentant
  • Procuration spéciale délivrée à l’avocat pour l’accomplissement des démarches.

Le bureau de liaison ne connait aucune limitation de durée. Cependant, la création tout comme la dissolution s’opèrera sur le fondement d’une décision à cet effet de l’organe dirigeant ayant décidé de l’ouverture. A la fin du bureau de liaison, une décision contraire prise permettra d’accomplir les formalités de radiation auprès du Guichet unique dans le RCCM et auprès des administrations fiscales et sociales.

  • Statut du représentant

Pour l’accomplissement des formalités lors de l’enregistrement du bureau de liaison en RD Congo la personne désignée en qualité de représentant n’est pas tenue d’être présente physiquement en RD Congo.

A cet égard, deux cas de figures peuvent être envisagés, suivant que le représentant réside à l’étranger ou est présent en RD Congo :

  1. S’il réside à l’étranger, il peut mandater une tierce personne pour ce faire. A cet effet, il est invité à élire domicile en RD Congo.
  2. S’il réside en RD Congo et qu’il détient un visa d’établissement couvert par un autre contrat de travail, il peut procéder sous la couverture de son titre de séjour en cours de validité. Et, dès l’enregistrement du bureau de liaison, il devra obtenir un autre visa d’établissement de travail relié au nouveau contrat de travail. Dans l’intervalle, il pourra bénéficier d’un titre de séjour conforme portant mention « dispositions transitoires » d’une durée de validité de 1 à 3 mois.

Pendant l’activité du bureau de liaison, si le représentant désigné est à l’étranger, il est tenu de :

  1. Obtenir un visa de voyage (court séjour de 1 à 6 mois)
  2. Justifier la suite de son séjour par un visa d’établissement de travail

Dans le cas d’un représentant non salarié, ce dernier sera tenu d’obtenir un visa d’établissement de travail catégorie spécifique qui a une durée d’une année. Ce visa est accordé à tout requérant qui n’a pas conclu de contrat de travail et ne remplit donc pas la condition pour obtenir un visa d’établissement de travail. Ce visa permet d’accomplir une mission professionnelle bien déterminée.

A souligner que le visa spécifique ne vaut pas visa de travail dont il est distinct.

II. Statut social

A la suite de l’accomplissement des formalités de création, le bureau de représentation a le droit d’employer les salariés utiles à l’exercice de ses activités. En matière de droit du travail, le principe de la réalité prévaut sur la forme des engagements. Dès lors, l’absence de personnalité juridique pour le bureau de liaison, tout comme la forme de la personnalité juridique de l’entité, est sans incidence sur les modalités d’application du droit du travail.

En appui de la doctrine, le bureau de liaison est représenté par un directeur nommé par l’organe dirigeant de la société mère. Celle-ci détermine également sa durée de fonction. Ce directeur représente la société mère est assume la gestion courante du bureau de représentation. Les décisions collectives sont prises par les organes dirigeants de la société mère et non au niveau du bureau de liaison. Aucun organe de contrôle n’est exigé.

Le bureau de liaison, comme tout autre employeur, personne morale ou physique, peut également embaucher directement des salariés ou recourir à des sociétés de placement des travailleurs, dans les conditions fixées par la loi et les règlements.

Il peut employer suivant l’article 207 du code du travail et conformément aux procédés définis par l’arrêté ministériel n°12/CAB.MIN.ETPS/044/2008 du 08 août 2008 sur le placement des travailleurs, dont l’article 3 reconnait le placement des demandeurs d’emploi dans les entreprises utilisatrices.

Conformément à l’article 216 du code du travail, le bureau de liaison est ainsi tenu de faire la déclaration au service compétent du ministère ayant l’emploi, le travail et la prévoyance sociale dans ses attributions et à l’Office National de l’Emploi, dans la quinzaine qui précède l’ouverture du bureau.

III. Comptabilité et profil fiscal

Le droit congolais oblige le bureau de liaison de tenir une comptabilité pour donner une image de la situation financière et faciliter les impositions fiscales. D’après la circulaire du 27 novembre 1989, cette comptabilité doit être spéciales et se rapporter fidèlement aux opérations traitées.

Cette circulaire départementale n°3749 précise que les bureaux de liaison et de représentation doivent se conformer aux dispositions de l’article 70 de l’ordonnance-loi n°69-009 du 10 février 1969, tel que modifié à ce jour. Ledit article s’énonce comme suit : « Les sociétés visées à l’article 68 doivent tenir au siège de leurs établissements situés en RD Congo une comptabilité spéciale des opérations traitées par ces établissements. Cette comptabilité exprimée en franc congolais doit être tenue en  français suivant les règles en vigueur en RD Congo ».

Les normes en vigueur en RD Congo procèdent du droit comptable OHADA qui distinguent trois systèmes à savoir le système normal, le système allégé et le système minimal de trésorerie.

Du point de vue comptable, le bureau de liaison facturera comme un centre des coûts. En l’absence de bénéfice, et sera soumis à l’impôt forfaitaire.

Sur le plan fiscal, le bureau de liaison doit s’acquitter de certaines obligations fiscales liées au travail et toute autre parafiscalité due à la saisie des actes générateurs visés.

Sur ce, le bureau de liaison tiendra compte des droits d’enregistrements, de l’impôt professionnel sur la rémunération de son personnel, expatrié et national, de l’impôt sur les revenus locatifs, des taxes spéciales administratives et toute autre taxe locale (provinciale et municipale).

Il est aussi imposable sur ses bénéfices sur base des principes qui régissent la territorialité de l’impôt professionnel en RD Congo (article 68 de l’ordonnance-loi n°69-009 du 10 février 1969 : « les sociétés étrangères qui exercent une activité en RD Congo dont imposables sur les bénéfices réalisés par leurs établissements permanents ou leurs établissements fixes qui y sont situés »).

Par ailleurs, l’article 69 de la même ordonnance –loi précise que les sociétés étrangères sont considérées comme ayant un établissement en RD Congo, au sens de l’article 68 ci-dessus :

  • Soit lorsqu’elles disposent dans le pays d’une installation matérielle telle que : siège de direction effective, succursales, fabriques, usines, ateliers, agences, magasins, bureaux, laboratoires, comptoirs d’achat ou de vente, dépôts, immeubles donnés en location ainsi que toute autre installation fixe ou permanente quelconque de caractère productif ;
  • Soit en l’absence d’installation matérielle, lorsqu’elles exercent directement sous leur propre raison sociale, une activité professionnelle pendant une période au moins égale à six mois, dans la mesure où celle-ci ne peut être considérée comme activité d’assistance à une entreprise de droit national.

La RD Congo n’ayant pas ratifié à ce jour de convention définissant la notion d’établissement stable, il convient donc de retenir la notion d’exercice habituel d’une activité commerciale.

Les bureaux de liaison qui reprennent les ordres d’achat de la clientèle pour les transmettre au siège et assurent le suivi de ces commandes sont donc imposables sur les affaires générées sous déduction des charges justifiées afférentes à l’exploitation de ces établissements en RD Congo.

Conclusion

Le bureau de liaison est la solution la plus légère d’implantation et son rôle doit se limiter à des prises de contact, de la prospection, de la collecte d’informations pour la société étrangère et toute autre activité préparatoire à une implantation plus importante en RD Congo.

De plus, la société étrangère devra être très vigilante à ne jamais développer d’activité commerciale, sans quoi elle serait requalifiée d’établissement stable avec des redressements pour tous les impôts.

C’est là l’inconvénient principal du bureau de liaison qui oblige à ne jamais dépasser «  la ligne jaune » de l’activité commerciale.

De ce qui précède, nous constatons que, pour une société étrangère souhaitant d’implanter en RD Congo, le bureau de liaison demeure la structure juridique souple et sans contraintes comparativement à la filiale et la succursale.

Le 05 septembre 2022

Elvis Mayo Bieme Ngalisame

Avocat/Barreau de Kinshasa-Gombe